Mon discours lors de la motion de rejet sur la loi immigration

15 décembre 2023
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Madame la présidente,
Monsieur le ministre de l’intérieur,
Monsieur le président de la commission des lois,
Monsieur le rapporteur général,
Madame, Messieurs les rapporteurs,

Chers collègues,
Parler de la migration des hommes et des femmes n’est pas seulement l’affaire d’un débat législatif, juridique, technique. 
C’est aussi et peut-être même d’abord parler de nous-même, de la nation que nous formons ensemble. 
C’est chercher à comprendre l’idée que chacune et chacun se fait de la France, de sa place dans le monde. 
C’est invoquer des valeurs qui nous dépassent, une histoire qui nous oblige. 
C’est plonger dans l’intimité de vies humaines qui dépendent directement des décisions que nous prenons. 

Le hasard d’un tirage au sort a amené mon groupe à présenter cette motion de rejet. 

Je veux le dire en préambule aux collègues de LR, de LIOT, mais aussi à ceux qui dans la majorité présidentielle doutent : voter le rejet dans un instant n’est en rien une adhésion à mon propos et ne sera pas instrumentalisé comme tel. Nos règles parlementaires et démocratiques sont claires. 
Je sais qu’ici il n’existe pas sur ce sujet de majorité pouvant se rattacher à l’analyse que je formulerai dans un instant. 
Mais il n’existe pas davantage de majorité autour du texte du gouvernement. Et c’est bien le seul objet de cette motion : oui ou non le gouvernement peut-il obtenir, in fine, les voix nécessaires à l’adoption de son projet ? Chacun connaît la réponse. 
Ce vote doit permettre d’en apporter la démonstration. Nous n’en tirerons aucune gloire et nous savons que ce n’est pas autour de nos idées que se fait ce scrutin. Nous ne le prendrons que comme un point d’appui. 

Tournant ainsi la page de longs, de très longs mois que vous avez employé à tenter de rallier une majorité d’entre nous. Voici plus d’un an que nous discutons de ce projet. Il est temps de décider. Monsieur le ministre, vous n’avez pas su trouver ici les équilibres et les compromis qui vous étaient nécessaires. 

Par conséquent, la discussion parlementaire qui s’ouvrirait, si d’aventure nous rejetions cette motion, ne serait qu’un vaste marchandage visant à débaucher individuellement les nombreuses voix qui vous manquent. 

Et nous avons vu, ce week-end encore, à quels procédés démagogiques et fallacieux vous êtes prêt à recourir à grands renforts des moyens de l’Etat. A quels chantages vous vous livrez sans vergogne via les réseaux sociaux. 

La fébrilité n’excuse pas tout. 

On attendait de vous un comportement de ministre de la République, pas celui d’un chroniqueur de CNews. 

Voter cette motion de rejet, c’est seulement mais nettement reconnaître la situation politique et parlementaire telle qu’elle est. 

C’est dire que ce débat sur la France, sur sa place dans le monde sur le rapport que la République entretient à celles et à ceux qui la rejoignent, quoi que l’on en pense sur le fond, mérite mieux que vos tergiversations / que vos gesticulations / que quelques trahisons.

N’étant ni une carpe ni un lapin, et prônant encore moins l’alliance des deux, je ne veux pas me dérober. Permettez-moi d’exposer en sincérité quelques convictions profondes sur le fond du débat qui s’ouvre dans notre hémicycle et je l’espère se refermera aujourd’hui. 

Je veux en cet instant porter la voix de ceux qui font battre le cœur de la France, ces millions de Français anonymes, qui ne sont pas salariés de monsieur Bolloré et préfèrent bien souvent la compassion à l’interjection. 

Je pense à Alfred, épidémiologiste de renom, médecin volontaire à Briançon et Montgenèvre. 

Je pense à Chantal qui enseigne le Français à de jeunes arrivants à Avignon. 

Je pense à Stéphane, Boulanger de Beasançon, qui a fait la grève de la fin pour empêcher l’expulsion de son apprenti Guinéen. 

Je pense à Fathia qui collecte des denrées aliementaires à Calais pour ces milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui croupissent dans la boue et le froid. 

Je pense à Gérard, Maire de Pesat Villeneuve dans le Puy de dôme, 670 habitants qui héberge depuis 2015 des exilés dans le dortoir d’une ancienne colonie de vacances. 

Je pense à Emma, étudiante à Nevers, qui assure des permanences d’accès au droit pour les exilés. 

Je veux dire à ces millions de femmes et d’hommes qui ont confiance dans nos valeurs, qui s’inscrivent dans l’histoire de l’humanisme, qu’ils sont l’honneur et la grandeur de la nation. Nous sommes la France, généreuse, fraternelle, républicaine ! 

Ernest Renan écrivait que « ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé, et de vouloir en faire encore dans l’avenir ». 

Alors je dis pour ma part que nous sommes une nation bien plus grande, bien plus forte, bien plus belle que l’idée que s’en font les partisans du repli identitaire et nationaliste. 

Nous ne sommes qu’au début de la grande aventure qu’est la France ! 

On nous dit minoritaires, je ne crois pas que ce soit une vérité, ou tout du moins pas une fatalité. 

Il est vrai que nous sommes dans un moment singulier, où l’angoisse du déclassement et la vision du déclin de la France suscitent la colère légitime de nos concitoyens. 

Il pèse sur le débat démocratique un climat de peur. 

La peur, c’est l’ennemi intime de la démocratie, parce qu’elle préfigure l’obéissance aveugle et le déferlement de la violence. Alors certains agitent ces peurs et cherchent à désigner un ennemi, coupable de tout. Cet ennemi c’est l’étranger, réel ou supposé d’ailleurs. 

A force d’engloutir le débat public sous les thèmes et les termes de l’extrême droite nous avons laissé s’installer dans notre pays un racisme d’atmosphère. 

Ce racisme d’atmosphère se manifeste dans les petites humiliations du quotidien, des discours stigmatisants, des amalgames orduriers, des violences symboliques qui deviennent physiques, nous l’avons vu encore récemment 

Ce racisme d’atmosphère imprègne évidemment le débat sur l’immigration. 

Alors, assez naturellement, l’opinion publique surestime de 15 points le poids de l’immigration en France. 

On a fait des victimes qui fuient la guerre ou la misère des coupables, bouc émissaires faciles d’une France déclassée par des décennies de néolibéralisme, fracturée par les inégalités, minée par les injustices, désertée par les services publics et trop souvent impuissante face aux désordres du monde, notamment devant le péril climatique. 

Si il y a un grand remplacement, ce n’est pas celui auquel se réfèrent les complotistes xénophobes,

c’est le grand remplacement des agents des services publics par des machines froides et privatisées, 

le grand remplacement des commerces de proximité par des entrepôts géants de multinationales, 

le grand remplacement de la liberté par les discriminations, de l’égalité par le « marche ou crève », de la fraternité par le chacun pour soi. 

C’est à la refondation de notre pacte républicain, à la redéfinition de notre contrat social qu’il conviendrait de nous atteler ici, pour réparer et apaiser le pays. 

Mais vous avez choisi monsieur le ministre de vous engouffrer dans le piège qui a déjà englouti nombre de vos prédécesseurs. 

Avec tambours et trompettes, vous nous annonciez un texte d’équilibre, tout en trouvant madame Le Pen trop molle et en reprenant jusqu’à ses mots et ses slogans. 

Où est cet équilibre ? 

En maigre compensation prétendument humaniste aux nombreuses mesures liberticides ou brutales de votre projet, vous avez brandi une promesse de bon sens pour donner droit à des travailleurs sans papiers, piliers de notre économie. 

Au bout du compte, ou plutôt du décompte des voix, nous voilà avec quelques régularisations, dans quelques régions, pour quelques métiers en tension, le tout dans une période d’expérimentation qui arriverait à échéance avant même la fin du quinquennat. 

C’est mieux que rien mais c’est presque rien.  

Par ailleurs, de notre point de vue, faire des nouveaux arrivants des variables d’ajustement économique selon les niveaux de tension de tel ou tel métier, dans tel ou tel territoire revient à les déshumaniser, à les priver de dignité. C’est une rupture grave dans les principes du droit du travail. 

On ne gouverne pas la France à coup de formules comptables, mais avec des principes, des valeurs qui nous obligent. 

Notre point d’équilibre à nous n’est pas compatible avec votre texte. Notre exigence va vers une politique d’humanité, qui ne peut être équidistante d’aucune prétendue fermeté. 

Cette fameuse fermeté, parlons-en. 

En 40 ans et 30 lois sur l’immigration elle n’aura produit que deux effets : l’inflation des revenus des passeurs qui indexent leurs tarifs sur les difficultés à franchir nos frontières, et la hausse terrifiante du nombre de morts en méditerranée ou dans les alpes. 

Au cours du jeune 21ème siècle il aura été construit 40 000 kilomètres de murs à travers le monde. Autant que la circonférence de la planète. Pour quel résultat ? 

Notre exigence va vers une politique de la fraternité, qui est constitutive de notre contrat social. 

Si la fraternité trône aux côtés de la liberté et de la l’égalité dans le triptyque de notre devise républicaine, ce n’est pas seulement pour demeurer gravée en lettres creuses aux frontons de nos mairies, c’est pour forger notre action, pour s’incarner, s’éprouver tant dans le quotidien de chacune et de chacun que dans les choix qui guident la façon dont nous entendons relever les grands défis de l’avenir. 

Notre exigence va également vers une politique fondée sur la lucidité. 

La lucidité, c’est comprendre que celui qui s’est arraché à sa terre, 

engageant un long chemin sans retour, 

qui a vécu la violence, la faim, la peur, parfois la torture ou le viol, 

puis a vu ses compagnons d’infortune flotter sous forme de cadavre en méditerranée, avant d’être traqué par la police dans le froid des alpes 

celui-là, celle-là n’est pas connecté à la chaîne parlementaire pour se demander si telle disposition législative va lui octroyer ou le priver de tel droit, de telle allocation, de telle protection. 

L’appel d’air n’existe pas. 

Laissons les familles se réunir, les gens s’aimer, les malades se soigner. 

Et que cesse le harcèlement des humanitaires, la criminalisation de la solidarité ! 

La lucidité c’est regarder les chiffres : la part des étrangers en France est globalement stable depuis des décennies. Nous accueillons moins que nombre de nos voisins et bien moins que la plupart des pays du Sud qui sont le point d’arrivée de la majeure partie des migrations. 

Non, il ne nous est pas demandé d’accueillir je ne sais quelle « juste part » de la misère du monde. 

La lucidité, c’est éprouver une incommensurable honte devant les conditions de survie des exilés dans notre pays, l’indignité de nos réponses sanitaires, sociales, humanitaires, de l’organisation consciente de l’entrave à l’accès aux droits. 

Des centres de rétention aux camps de fortune, la France des Droits l’Homme tolère l’intolérable. 

Et que dire de l’état du droit qui ne voit pas le demandeur d’asile comme un persécuté mais comme un potentiel tricheur. 

La lucidité, c’est refuser l’enfermement des enfants, leur abandon ou la négation de leur minorité. 

La lucidité, c’est sortir la comptabilité des étudiants étrangers des statistiques de l’immigration, et reconnaître que pour la plupart, ils repartent dans leur pays et y font rayonner la France, qu’ils réussissent mieux leurs études et rapportent 1,3 milliard d’Euros chaque année à notre économie. Soyons fiers pour notre influence, notre recherche, notre modèle universitaire, d’accueillir tous les talents ! 

La lucidité, c’est comprendre que l’intégration ne peut se résumer à une injonction. Elle est un processus de socialisation qui implique une progression dans le temps. 

C’est l’action politique qui peut créer les conditions de cette inclusion en levant les obstacles économiques, sociaux, éducatifs, linguistiques, culturels et civiques. 

Vous êtes dans une impasse monsieur le ministre. Vous ne vous y êtes pas mis seul. Cette impasse vient des prémices du macronisme. 

Avoir cru ou feint de croire que l’on pouvait durablement effacer deux siècles d’un clivage qui a établi, construit, structuré la République, entre gauche et droite, était une erreur politique et une faute démocratique. 

Il ne suffit pas d’agréger les renégats des deux camps pour bâtir un nouveau monde. Parce que ces clivages correspondent à des visions de la société, de l’intérêt général, de l’avenir du pays, ils sont respectables. 

L’opportunisme ne peut être érigé en méthode de gouvernement. 

Pour diriger un pays aussi beau et grand que la France il faut une boussole qui donne un cap. 

Quel est le votre ? Sur ce texte vous nous avez dit « gentil avec les gentils, méchant avec les méchants ». Mais, monsieur le ministre, on ne gouverne pas avec des slogans de cour d’École ! 

Quelle est votre boussole sur un sujet aussi essentiel que l’aide médicale d’État ? Votre majorité a voté son rétablissement en commission au Palais Bourbon après que vous ayez donné votre blanc seing à sa suppression au Palais du Luxembourg. 

Le « en même temps » macronistes est donc aussi dangereux pour la santé phyisique qu’il l’est pour la santé démocratique ! Il est temps ici de nous en vacciner. 

Vous avez perdu vos repères. Vous avez renoncé à assumer une conviction sans pour autant en trouver d’autres ni à gauche ni à droite de cet hémicycle. Je constate que la somme des soutiens de ce texte est inférieure à la somme de ses opposants dans cette assemblée. Cette réalité est la seule qui compte en cet instant.


Mes chers collègues, rejetons ce mauvais texte maintenant ! Un débat aussi important que celui-ci, sans doute une controverse politique et morale parmi les plus importantes de l’époque, mérite mieux qu’un petit texte défendu par une petite majorité.

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