Cérémonie du 10 mai – Ville de Limay
Monsieur le Sous-Préfet, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les élu·es, Chers amis, Chers habitantes et habitants de Limay,
Il y a des jours où la République se souvient. Des jours où elle ne détourne pas le regard. Des jours où elle accepte enfin de regarder son histoire droit dans les yeux. Ce 10 mai est de ceux-là.
Nous sommes rassemblés ici pour un moment solennel, grave et fort. L’inauguration de cette stèle, en hommage aux victimes de la traite, de l’esclavage colonial et à celles et ceux qui ont lutté pour leur abolition, marque un geste essentiel : faire entrer dans notre espace commun une mémoire trop longtemps niée.
Je veux commencer par saluer chaleureusement la ville de Limay. Car ériger une stèle, ce n’est pas un geste décoratif. C’est un acte de mémoire. Un choix éthique. Un engagement civique et politique au sens noble du terme.
Cette stèle dit haut et fort que la République ne peut pas fuir son histoire. Qu’elle ne peut pas passer sous silence le crime contre l’humanité que fut l’esclavage.
Je veux aussi, ici, rendre hommage à mon amie Christiane Taubira qui fut voter la loi du 10 mai 2001 et au Président Jacques Chirac, qui, en 2006, a pris la décision d’inscrire cette date du 10 mai dans notre calendrier républicain. Ce fut un geste lucide, un geste digne, qui a su affronter l’histoire sans détourner les yeux. Mais reconnaissons-le : ce chemin reste à parcourir. Commémorer ne suffit pas.
Il ne s’agit pas de se donner bonne conscience une fois l’an. Il s’agit de faire vivre cette mémoire dans le présent, de l’articuler aux combats de notre époque, de la transmettre aux générations qui viennent.
L’esclavage n’est pas un vestige lointain. C’est une matrice historique, économique, sociale. Il a structuré des rapports de domination qui ont laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. Dans les inégalités. Dans les discriminations. Dans les imaginaires. Et c’est pourquoi la transmission est cruciale. À l’école. Dans les familles. Dans les quartiers. Dans les lieux de culture. Il faut enseigner l’histoire des traites, des plantations, des résistances. Il faut dire les noms : Solitude, Delgrès, Louverture, Césaire. Et tant d’autres, souvent anonymes, qui ont refusé l’humiliation, refusé la résignation.
Ce que nous devons transmettre, ce n’est pas une mémoire de douleur seulement. C’est une mémoire de lutte. De dignité. De résistance.
Car la liberté n’a pas été donnée. Elle a été arrachée. Conquise. Au prix du courage, de l’intelligence, du sang parfois, de l’espérance toujours.
Et cette mémoire-là est un levier. Un levier pour penser autrement le présent. Un levier pour refuser les stigmatisations, les replis, l’affrontement identitaire, la division du peuple.
Oui, cette mémoire est vivante. Elle est politique. Elle est universelle, parce qu’elle parle à tous les peuples qui refusent d’être assignés, dominés, effacés.
Et elle est plus nécessaire que jamais, aujourd’hui. Quand frappe la mort en Ukraine et en Palestine. Quand les discours révisionnistes reviennent. Quand certains veulent réhabiliter la colonisation, ou relativiser l’esclavage. Quand des enfants de la République subissent des discriminations à cause de leur nom, de leur origine réelle ou supposée, de leur quartier, de leur couleur de peau.
Alors nous avons le devoir de ne pas nous taire. Le devoir de nommer les choses. Le devoir de faire vivre cette mémoire pour transformer notre société.
Cette stèle, ici à Limay, n’est pas une fin en soi. C’est un point d’appui pour nos engagements futurs. Un symbole actif, un appel à la vigilance, à la transmission, à la justice.
Il faut que cette mémoire entre dans la République par la grande porte. Et cela passe par l’école. Par la culture. Par la reconnaissance des combats passés et présents.
Il n’y aura pas d’égalité sans vérité. Pas de fraternité sans justice. Pas de République sans mémoire.
Alors oui, merci à Limay. Merci à ses élus, à ses habitants, à ses enseignants, à ses associations. Merci de dire que l’avenir ne se construit pas sur l’oubli, mais sur la lucidité, la reconnaissance, et la dignité.
Puissions-nous, tous ensemble, être à la hauteur de cette mémoire. Puissions-nous transmettre cette force aux générations futures. Et que cette stèle, ici, reste debout, comme un repère, comme une promesse, comme un engagement. Je vous remercie.