[Le Monde] Maintien de l’ordre : « Il y a trop de blessés parmi les manifestants et les forces de sécurité »

14 avril 2023
Protesters react in a cloud of tear gas during a demonstration in support to victims of police brutality, after events in Sainte-Soline and in pension protests, in Nantes, western France, on March 30, 2023. French police have been strongly criticized by rights groups for heavy-handed reaction to anti-government protests over the past month. (Photo by Sebastien SALOM-GOMIS / AFP)

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/maintien-de-l-ordre-il-y-a-trop-de-blesses-parmi-les-manifestants-et-les-forces-de-securite_6169461_3232.html

Dans une grande démocratie on doit pouvoir regarder les réalités en face. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi sensible que le maintien de l’ordre, soumis à une double obligation de garantie de sûreté pour les citoyens et d’exemplarité dans le respect de nos principes fondamentaux. 

Dans une République digne et responsable, on doit apporter la plus grande attention aux alertes et condamnations venues tant d’institutions internationales comme le Conseil de l’Europe, que d’organismes indépendants nationaux tels que la Défenseure des droits. On doit douter de nos certitudes à la lecture des rapports d’ONG, des articles de presse étayés, des témoignages et des enquêtes diverses. 

Nous devons pouvoir nous accorder sur un constat simple : il y a trop de blessés parmi les manifestants, trop de blessés parmi les forces de sécurité.

Nous devons pouvoir regarder ce qu’il se passe ailleurs, dans nos démocraties voisines hier et aujourd’hui par exemple, tant pour y puiser des modèles vertueux que pour mesurer les risques de dérives. Nous devons pouvoir interroger tout le processus de sécurité publique, de la détection de groupes violents à la gestion des débordements.

Nous devons admettre que la politique sécuritaire telle qu’elle est engendre bien des souffrances pour les forces de l’ordre elles-mêmes, augmentant la difficulté de leur tâche et leurs conditions de travail et de vie. Qui peut s’en satisfaire ? Soutenir les forces de l’ordre cela ne peut pas être mettre la poussière sous le tapis, au contraire. 

Dénoncer des violences policières et vouloir regarder le système dans son entièreté, ce n’est pas insulter les policiers, c’est au contraire dépasser une analyse de faits divers sur des bavures pour interroger les choix politiques qui conduisent à ce qu’il y ait encore trop – parce que dans une République qui proclame sa devise de liberté, d’égalité, de fraternité, un seul cas sera toujours de trop – de brutalité dans certaines opérations de maintien de l’ordre ou encore de racisme dans les contrôles d’identité par exemple.

Ce n’est pas détester la police et ses agents que de vouloir corriger les failles du système. Au contraire, ayons la lucidité de reconnaître que toute organisation génère ses failles, ses dysfonctionnements.

On peut reconnaître, comme le démontrent bien des enquêtes, que l’École est encore trop inégalitaire sans remettre en doute le dévouement sans limite des personnels éducatifs. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même pour une institution aussi centrale dans la République que la Police ? 

Je suis l’élu d’un territoire qui a éprouvé la réalité d’une violence policière inacceptable, quand en 2018, 150 jeunes, lycéens pour la plupart, ont été parqués en plein air, mains sur la tête pendant plusieurs heures, filmés par un policier qui s’est exclamé « voilà une classe qui se tient sage ». Ces images ont ému tout le pays et au-delà. Elles interpellent nos consciences, notre humanité, notre amour des valeurs de la République et doivent conduire à d’autres réactions institutionnelles que celle de l’esquive ou du déni. 

Nous vivons dans une forme de déni coupable. Il y a de la violence dans la société. Il y a aussi du racisme. Dans l’École, dans l’entreprise, dans tous nos espaces collectifs ces réalités nous frappent et nous devons nous unir sur l’objectif de les combattre et de les faire sans cesse reculer. C’est avec la même détermination qu’il faut comprendre les problèmes de la police pour mieux les affronter, avec les agents, les citoyens, les acteurs de la vie judiciaire et démocratique du pays. 

C’est un rapport à la vérité qui se joue aussi à travers ce débat. C’est le moment de choisir si nous voulons des Trump ou des Joxe à Beauvau. C’est le moment de choisir si nous voulons à la tête de ce ministère des porte-paroles de la frange la plus extrémiste du syndicalisme policier ou si nous préférons des grands serviteurs de l’État, soucieux de la paix civile et de la concorde républicaine. 

Sachons faire preuve de nuance, d’intelligence collective, et sortir des dogmes et des poncifs pour nous affranchir d’une forme de religion du maintien de l’ordre tel qu’il est, parfois brutal, qui serait la seule voie possible, la seule affirmation possible de l’autorité de l’État. La République peut faire mieux et elle le doit. Elle se le doit à elle-même, à ses valeurs, à son idéal. C’est la condition de sa capacité à affronter les grandes controverses de notre époque, d’organiser les clivages et parfois même les radicalités, sans jamais sombrer dans la violence et l’affrontement dont on ne revient pas ou alors avec une société fracturée, irréconciliable donc inconsolable. 

Soyons capables, collectivement, d’organiser un grand débat démocratique, une convention nationale réunissant toute la société autour d’un état des lieux lucide, d’un regard factuel et enfin étayé par des statistiques rigoureuses et contrôlées, d’objectifs exigeants définis démocratiquement au service de l’apaisement du pays, de la concorde nationale et de la refondation d’un pacte républicain menacé. 

C’est le seul chemin viable pour corriger les défaillances du maintien de l’ordre tel qu’il est et pour renforcer la confiance de nos concitoyens dans l’édifice démocratique et républicain. 

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