« Conjurer la peur et rétablir la vérité ».
Mon discours lors du débat parlementaire sur la politique migratoire de la France.
Merci Madame la Présidente,
Droits-de-l’hommistes et bienpensants.
Pour vous, ce sont des injures. Pour nous, c’est une boussole.
Car oui, la fraternité est constitutive de notre contrat social. Si elle trône aux côtés de la liberté et de l’égalité dans le triptyque de la devise républicaine, ce n’est pas pour demeurer simplement gravée en lettres creuses au fronton de nos mairies, c’est pour guider notre action.
Alors oui, nous assumons notre préférence pour l’humanité, valeur première, qui ne peut être équidistante d’aucune prétendue « fermeté ». Oui, la compassion, la bienveillance, l’empathie sont des émotions politiques au même titre que l’aspiration à la justice ou à la dignité.
Vous préparez un nouveau texte. Une centaine d’autres ont déjà été voté depuis la libération.
Celui-ci n’échappera pas à la règle tragiquement banalisée du durcissement croissant et des restrictions supplémentaires des conditions d’accueil sur le territoire de la République. Vous l’avez dores et déjà annoncé.
Puisque ces débats se répètent sans cesse, c’est qu’ils n’ont servi à rien.
Je vous propose donc de changer de philosophie.
Et si nous tournions le dos aux deux écueils qui ont perverti tous les débats sur l’immigration : la peur et le mensonge ? Et si nous les remplacions par deux principes : la vérité et la confiance ?
D’abord conjurer la peur et combattre les mensonges
Ce débat, il existe ici et dans le pays depuis 50 ans qu’il y a une extrême droite organisée. Il se fonde sur un ressort unique : la peur.
Le FN puis le RN et ses variants l’entretiennent, l’organisent, parfois avec la complaisance cynique des gouvernants.
Leur message au fond peut se résumer à cette formule : « Ayez peur et laissez-nous faire le reste ». Ainsi ont toujours fonctionné les fascismes.
La peur, c’est l’ennemie intime de la démocratie. Parce qu’elle préfigure l’obéissance aveugle, le repli sur soi, la violence.
Pour conjurer les peurs, il ne faut pas les nier ou les esquiver mais les ramener lucidement à ce qu’elles sont.
Si tant de nos compatriotes voient dans l’immigration la cause des malheurs du pays et de leur propre sort, c’est parce qu’on leur désigne un bouc émissaire facile.
Symbole de cette peur, au cours du jeune 21ème siècle, il aura été construit 40 mille kilomètres de murs, autant que la circonférence de la planète.
On a fait depuis des décennies des victimes de la guerre ou de la misère, les coupables des maux d’une France déclassée par 30 ans de néolibéralisme : fracturée par les inégalités, minée par les injustices, désertée par les services publics, et trop souvent impuissante face aux désordres du monde, notamment devant le péril climatique à l’œuvre.
Alors, assez naturellement, l’opinion surestime de 15 points le poids des migrations en France. C’est le résultat d’un débat public englouti sous les thèmes et les termes de l’extrême droite.
Il n’y a plus de chiffres, plus de vérité, seulement un récit fantasmatique déroulé complaisamment par quelques grands médias dont ceux de monsieur Bolloré, propagandiste en chef de l’offensive raciste et xénophobe.
Alors, sans craintes, face à tous les mensonges il nous faut dire la vérité
La vérité, c’est que les migrations sont une réalité permanente, comme tant d’autres phénomènes géographiques, humains, sociologiques. Se prononcer « pour » ou « contre » n’a par conséquent aucun sens.
La vérité, c’est que les migrations ne concernent que 3,5% de la population mondiale et se font pour une part conséquente entre pays du sud. Et que « toute la misère du monde » reste bien concentrée là où elle est, les plus pauvres des pays pauvres n’accédant quasiment jamais à nos portes.
La vérité, c’est qu’il faut nous préparer aux migrations climatiques qui seront l’un des grands défis du réchauffement.
La vérité, c’est que fermer les frontières n’empêche pas les migrations qui ont changé d’échelle, cela ne fait qu’augmenter les drames, les morts.
Regardons avec colère et chagrin ces dizaines de milliers de morts en méditerranée ou dans la Manche et ceux qui suivront si nous persévérons dans une orientation politique aussi inepte qu’inhumaine.
Toute politique qui ne se préoccupe pas d’abord de sauver des vies humaines revient à s’inscrire dans une forme de complicité d’un crime que nos sociétés infligent à l’humanité, à certains de nos semblables.
La vérité, c’est que pour casser les passeurs, il faut ouvrir des voies d’accès légales, sortir de la militarisation des frontières.
La vérité, c’est qu’au début de la pandémie, le taux de mortalité parmi les immigrés était 9 fois plus élevé que pour le reste de la population. Parce qu’ils accèdent plus difficilement aux soins, vivent davantage dans des conditions de précarité et de promiscuité, mais aussi parce qu’ils occupent bien plus les emplois dits « essentiels ».
Où sont passés vos applaudissements quotidiens à leur égard ?
La vérité, c’est que les conditions de traitement des exilés dans notre pays, des centres de rétention aux camps de fortune, sont indignes. Près de Dunkerque où j’étais il y a quelques semaines les humanitaires vous réclament un robinet d’eau potable. Juste de l’eau potable !
La vérité, c’est que 50 % des exilées dans le monde sont des enfants.
1/3 des exilés en Europe sont des enfants.
70% de ceux qui sont évalués se voient refuser une prise en charge au titre de la protection de l’enfance, au motif qu’ils ne seraient pas mineurs ou isolés.
La vérité, c’est que faire des exilés des variables d’ajustements économiques selon les niveaux de tension de tel ou tel métiers revient à les déshumaniser, à les priver de dignité, et c’est une rupture grave dans les principes du droit du travail.
La vérité, c’est qu’une politique d’accueil digne ne provoquera pas l’appel d’air que vous agitez tel un épouvantail en face de toute tentative de politique humaniste. Ceux qui risquent leur vie, s’arrachent à leur terre et à leurs proches ne le font pas avec une revue de presse spécialisée en droit social et migratoire sous le bras.
La vérité, c’est qu’il y a en revanche des migrants dont vous ne parlez pas, les migrants de la finance. A eux vous accordez d’ailleurs la qualité d’exilés.
Ce sont les évadés fiscaux qui eux nous coûtent une part conséquente de la richesse nationale, qui eux abusent de notre générosité, qui eux choisissent le séparatisme à coup de millions ou de milliards.
C’est en somme la lutte des classes version garde-frontière que vous nous proposez. Avec les plus riches et la finance, vous êtes no border.
Vous affirmez sans cesse votre amour des entrepreneurs et de la valeur travail.
La vérité, c’est que les nouveaux arrivants créent plus d’emplois qu’ils n’en occupent. Les étrangers participent à 15% des créations d’entreprises en France !
La vérité, c’est que notre système de l’asile est toujours complexe et défaillant, il se dégrade constamment. La loi ne voit pas le demandeur d’asile d’abord comme un persécuté, mais comme un potentiel tricheur.
La vérité, c’est que l’intégration ne peut être une simple injonction, elle est un processus de socialisation, qui implique une progression dans le temps. C’est l’action politique qui peut créer les conditions de cette intégration en levant les obstacles économiques, sociaux, éducatifs, linguistiques, culturels et civiques.
Choisissons la confiance
Je viens de vous entendre et en fait madame Le Pen, vous n’aimez pas la France.
Vous n’aimez pas la France parce que vous la voyez faible, incapable de rayonner, de se transformer, vous n’aimez pas son histoire faite de mélanges et de dépassements.
Nous nous croyons que l’on peut faire France de tout bois parce que c’est notre histoire, notre richesse, notre génie même que de fabriquer et renouveler sans cesse une culture nourrie par d’autres.
Ne soyons pas une nation frileuse, repliée sur elle-même, comme si elle n’avait pas su trouver la force dans son histoire de se renouveler, de se réinventer, de se régénérer et donc de se renforcer.
Oui, nous croyons qu’une France généreuse, accueillante, fraternelle, est une France plus forte face aux urgences du présent et aux grands défis de l’avenir.
Chers collègues, la France est le plus ancien pays d’immigration en Europe, c’est notre tradition depuis le 18ème siècle. Aujourd’hui elle n’est plus que le 5ème pays européen par le nombre de ses étrangers. Où est votre prétendue submersion ?
Avoir confiance, c’est régulariser ceux qui travaillent, cotisent, payent des impôts.
Avoir confiance, c’est attirer ici des milliers d’étudiants qui construisent un lien intellectuel, scientifique et technique durable avec notre pays.
Avoir confiance c’est chérir la générosité et la fraternité, en mettant fin au harcèlement des humanitaires, au délit de solidarité.
Avoir confiance c’est garantir l’accès aux droits pour tous les exilés.
Avoir confiance c’est dispenser à chacune et à chacun les soins physiques et psychologiques nécessaires.
Avoir confiance, c’est refuser que des groupuscules remettent en cause la liberté pédagogique, fondement de l’école républicaine et menacent une enseignante qui explique à ses étudiants la réalité des migrations.
Avoir confiance c’est sortir ce débat sur l’immigration de la pression électoraliste, des pulsions, des surenchères. Plusieurs associations proposent une convention citoyenne sur les migrations. Voilà qui sortirait de la répétition compulsive des textes et des vocifération stérile.
Avoir confiance c’est construire une grande politique de l’inclusion, qui brise les plafonds de verre, qui combat le racisme et les discriminations, qui refuse l’assignation à résidence, le chômage, la précarité.
En confiance et en vérité, débarrassés des peurs et des mensonges, faisons vivre la fraternité !